Les échanges se sont tenus avec 3 psychologues spécialistes de la douance : Monique de Kermadec [1], Bernard Borelli [2] et Anne-Marie Cauletin-Gillier [3] ; ainsi qu’Alexandra Reynaud [4].
Arielle Adda [5] ne pouvant se rendre présente a envoyé sa contribution sur le sujet. Mais un petit loupé dans le déroulé a dû laisser le papier se coincer dans les enchaînements, entre les réglages micros-vidéoprojecteur, la gestion des questions dans la salle, le stress et la rapidité des temps qui se succèdent sur l’après-midi... Loupé vite rattrapé : je partage ce texte, avec la reconnaissance d’une maman de triplées qui a cru un instant lire l’histoire de ses filles... Je ne doute pas qu’il parlera autant à bon nombre de familles.
Quand les parents ne cessent de se poser des questions à propos de leur enfant ou d’un de leurs enfants, ils en arrivent, tôt ou tard, à lui faire passer un examen psychologique sur les conseils de maîtresses ou de pédiatres avisés ou bien d’amis passés par les mêmes interrogations.
La révélation du don de leur enfant provoque un véritable séisme : la première secousse a lieu à l’annonce des résultats, entraînant, exactement dans le même mouvement, une panique irraisonnée et un soulagement : comment allons nous nous débrouiller avec un enfant dont les caractéristiques nous sont inconnues ? Mais aussi l’idée apaisante que son comportement peut être défini par ces mêmes caractéristiques, communes à tous ces enfants et dûment répertoriées. La grille de lecture que l’abondante littérature traitant du sujet va fournir apportera tous les éclaircissements nécessaires.
Les parents en quête apprennent que ces enfants sont merveilleux, ils le savaient déjà, mais aussi extraordinairement fragiles, hypersensibles et compliqués, ce qui revient à dire que l’attitude à adopter vis-à-vis d’un enfant doué doit être toute en finesse, en compréhension, en écoute attentive. Par exemple, une marque d’exaspération, légitime, parfaitement justifiée, spontanée et naturelle risquerait de blesser profondément l’enfant doué.
On sait qu’un sentiment d’exaspération rentrée entraîne des dégâts considérables s’il n’y a aucun moyen de l’exprimer, les relations avec celui qui l’a provoqué commencent à se teinter d’un infime sentiment de frustration, à éviter impérativement. Si un enfant devient exaspérant, on l’en informe et on examine avec lui, à froid, comment ce mécanisme s’est enclenché.
Les parents ne doivent, en aucun cas, se sentir dépossédés de leur rôle de parents.
Une fois l’enfant doué reconnu, un insidieux sentiment de doute commence à envahir ses parents en suscitant des interrogations qu’on n’ose formuler.
On commence par se poser des questions au sujet de la fratrie, puis on se rassure : comment un cadet si discret, presque timide et d’un calme admirable pourrait être doué, il ressemble si peu à son aîné qui n’a cessé de poser des problèmes, pratiquement depuis sa naissance. Par acquis de conscience et par souci d’égalitarisme, ce cadet si discret passe un test. Oh surprise ! Le résultat est encore plus élevé que celui de son aîné.
Il est d’ailleurs préférable de faire passer un test à toute la fratrie : même s’ils ne le manifestent pas explicitement, ceux qui ne le passent pas risquent de se sentir imperceptiblement négligés. Il y aurait un seul enfant qui concentre toute l’attention de la famille, qui passe un test, dont on parle, qu’on traite, qu’on le veuille ou non, un peu différemment des autres, ces autres, justement, qui n’ont pas le même traitement, « parce qu’ils vont bien, qu’ils ne posent pas de problème ». Une fois adultes, ces enfants qui vont bien se rendent compte qu’ils conservent de cette ségrégation un goût amer quand ils y songent. Ils disent « j’ai un frère reconnu surdoué » laissant donc entendre qu’ils ne peuvent l’être en aucune façon, puisqu’on n’a pas jugé bon de leur faire passer de test, même s’il en a été vaguement question.
Tout n’est d’ailleurs pas réglé lorsque tous les enfants passent un test : comment expliquer les éventuelles différences ? C’est une des raisons qui incitent à ne pas divulguer à qui que ce soit le chiffre du QI. Sinon quel beau terrain pour entrer dans une interminable compétition !
Si on donne à un seul enfant le statut d’enfant doué, cela signifie qu’il est considéré comme un enfant à part. On doit lui passer ses caprices ou supporter ses colères, ou bien, s’il est plutôt renfermé, le traiter comme un enfant d’une extrême fragilité : il n’est pas comme les autres, il faut garder en mémoire cette donnée quand on s’adresse à lui. Lui-même se voit alors comme un être singulier dont la destinée sera forcément différente.
Souvent, le cadet a fait tout son possible pour éviter de connaître les mêmes ennuis que son aîné. Il s’est vite aperçu qu’il était bien préférable de donner l’image d’un enfant sage, réfléchi, lent peut-être, ce qui est trompeur, plutôt que d’attirer exagérément l’attention et de devenir une cause de tourments pour ses parents à cause d’un comportement problématique à l’école et parfois à la maison pour des causes dérisoires.
Quand on est sage et calme, on peut rêver tout à loisir, se créer un monde joyeux et animé, permettant de supporter l’ennui en classe et les aléas, parfois fatigants, d’un aîné à la recherche de lui-même.
Un sentiment de doute que ne veut pas s’éteindre commence à gagner les parents : au cours de leurs nombreuses lectures, studieuses et approfondies, ils n’ont pu s’empêcher de se poser parfois des questions. Ils ne reconnaissent si bien dans les descriptions qu’ils lisent avec un intérêt croissant, ils y trouvent enfin des clefs pour expliquer un comportement qui les a surpris eux-mêmes, une hypothèse hasardeuse commence à poindre : et si eux-mêmes avaient été des enfants doués ?
Dans ce cas, ils pourraient enfin suivre leur intuition et se comporter avec leurs enfants comme ils le ressentent...
Le séisme premier est suivi de répliques tout aussi destabilisantes, c’est la famille toute entière qui change puisque chaque membre n’est pas celui qu’il croyait être ou qu’il s’efforçait d’être.
Les parents comprennent pourquoi ils ont été attirés l’un par l’autre, et pourquoi les précédentes rencontres n’avaient jamais été pleinement satisfaisantes : un fossé qu’ils auraient pourtant préféré ignorer ne se laissait pas oublier. Ils avaient finalement compris qu’il leur serait impossible de vivre longtemps avec cette personne qui réfléchissait si différemment et surtout que la construction d’une famille risquait de déboucher sur un désastre. Si ce désastre a déjà eu lieu, ils en comprennent les raisons.
Se connaissant mieux, ils peuvent plus facilement faire la distinction entre ce qu’ils comprennent de leur enfant et le souvenir très refoulé de l’enfant qu’ils ont été et qu’ils gardent encore au plus profond d’eux-mêmes sans trop oser en parler : il y a les souvenirs d’enfance classiques qu’on peut raconter dans un récit drôle ou tendre, mais l’enfant souvent meurtri n’est jamais évoqué, jusqu’au moment où il peut devenir plus réel parce qu’on aura lu son histoire. Il ne va plus interférer avec le sien propre, qui n’a pas les mêmes parents, comme je ne cesse de le rappeler. On ne peut comparer deux époques différentes, de nos jours on peut accéder à des informations plus riches et plus précises.
Il y a 20 ans, la littérature était plus réduite, les émissions de radio, de télévision et les journaux évoquaient régulièrement le sujet en suscitant une vague d’intérêt, puis tout retombait jusqu’au prochain spectacle médiatique.
Beaucoup de parents veulent en avoir le cœur net, ils se décident, en tremblant et le cœur serré, à passer eux aussi un test, en tentant de se persuader que leur vie ne sera pas changée, sauf que l’éclairage qu’ils en auront modifiera toutes les perspectives et toutes les interactions avec leur entourage.
L’assurance nouvelle et réconfortante qu’ils puiseront dans les résultats leur donnera la confiance en eux qui leur a toujours manqué.
Une enquête effectuée par une journaliste, pour un livre qui n’a jamais été écrit, avait montré que l’entente était meilleure dans le couple une fois leur enfant testé et reconnu doué. Leur tâtonnements s’orientent enfin vers une direction précise, leurs ébauches de malentendus s’apaisent, une paix inusitée s’instaure, au grand soulagement des protagonistes.
Pour tous, il est désormais possible de transformer les apparentes faiblesses en force : la sensibilité permet d’éviter les relations nocives en captant la nature des personnes de l’entourage, l’intuition alliée à la logique guide avec sûreté les personnes douées une fois qu’elles connaissent leurs spécificités. Elles savent qu’elles peuvent se fier à leur raisonnement.
On peut alors goûter aux joies de l’existence sans arrière pensée, parce qu’on sait qu’on possède les armes nécessaires pour affronter plus sereinement la réalité et ses aléas.
Paris, 6 septembre 2017
Avec l’aimable autorisation d’Arielle Adda